Dégolfer

Dégolfer : traverser et sortir du golfe de Gascogne.

Vendredi 5 mars 2021 .

Dès 4H30, nous avons attaqué le sprint final : la fermeture de la maison. Assurément l’activité la plus épuisante de la journée.

Dans la précipitation, nous avons rejoint le Golo vers 11h30 au port de Vannes. Ciel gris, vent de nord, le climat ne prête pas à rêver.

Ceux de nos amis qui ne travaillent pas sont là pour nous rappeler que ce n’est pas un départ de croisière comme les autres, mais nous avons du mal à réaliser que nous partons pour une année. Comme quoi, « le grand départ », c’est peut-être plus dans l’esprit des autres que dans le nôtre.

L’ambiance Covid n’y est sans doute pas pour rien, puisque nous sommes bien incapables de savoir où nous serons dans six mois. Les étreintes sont interdites avec ceux qui restent à quai. Certains embarqueraient bien à bord avec nous, d’autres sûrement pas. Mais ils sont tous heureux pour nous.

Quand le bateau glisse les premières encablures, nous ne réalisons toujours pas vraiment que c’est un départ pour longtemps.

Le vent de nord nous permet d’envoyer une voile dès la sortie du port, ce qui nous évite le bruit du moteur et nous offre la satisfaction du voilier. Si le temps froid n’est pas agréable pour naviguer, la direction du vent est idéale pour traverser le golfe de Gascogne : vent dans le dos, ça pousse bien. Nous pouvons dégolfer.

Reste à ranger à bord les derniers sacs posés dans la précipitation. Une fois Belle-Ile passée par l’est, nous fermons les capots et démarrons le chauffage. Une heure plus tard, il fait 20°C à l’intérieur et tout de suite, la vie est plus douce. Deux membres de l’équipage se sont réfugiés dans le sommeil, meilleur des remèdes au petit mal de mer inhérent aux premiers jours de navigation.

23h50 : cela fait déjà 12 h que nous avons quitté Vannes, maintenant à 68 milles derrière nous. Mais dans nos têtes, cette traversée du golfe de Gascogne n’est pas bien différente des autres, si ce n’est les 5°C qu’indique le thermomètre extérieur.

Samedi 6 mars.

Premier jour de navigation. Pour moi, le premier jour de navigation, c’est celui du premier réveil en mer, du premier matin, où après une nuit, le jour se lève et je peux regarder à 360 ° : rien d’autre que l’horizon.

Il n’y a plus d’autre danger que le risque de collision avec un engin flottant, pétrolier de 300 mètres ou autre petit voilier comme nous. En mer, c’est la terre qui est dangereuse, sous réserve d’éviter une méchante tempête, ce qui, avec la qualité des prévisions météo actuelles, tiendrait quand même de l’exceptionnel. Ce sentiment de sécurité, voire de sérénité en pleine mer n’est pas forcement compréhensible par tous, tout comme je ne comprends pas le plaisir des grimpeurs qui gouttent à être suspendus au dessus du « gaz » comme ils disent. Le principal, c’est de ne pas se tromper de voie, comme certains rêveurs de « tour du monde » qui interrogent les forums de discussions au sujet du meilleur bateau pour accomplir leur rêve, sans savoir s’ils seront bien en mer. Question par nature sans réponse avant d’avoir essayé.

Profitons de cette première nuit pour vous raconter une réalité qui sera tellement banale dans quelques jours que j’en oublierai son originalité.

A l’intérieur d’un petit bateau, il y a toujours du bruit. Plein de bruits divers. Celui de l’eau qui défile sur la coque bien sûr, celui des bouts qui claquent sur les poulies et celui des poulies elles-mêmes qui claquent sur le pont. Celui de la vaisselle qui bouge, verres qui cognent, tasses qui roulent, bouteilles qui s’entrechoquent. Paradoxalement, le bruit du vent n’est audible qu’en sortant sur le pont, à moins bien entendu qu’il y ait un furieux coup de vent. Mais on est alors bien loin de la notion de plaisance.

Dimanche 7 Mars.

Deuxième nuit. C’est plus calme, le vent a molli et forcément, la vitesse aussi. La température est de 8 degrés : c’est déjà le sud !

C’est la première fois que je fais une longue nav. avec le chauffage à l’intérieur : rien à voir concernant l’ambiance à bord ! Parties d’échecs, jeux de cartes, repas… toutes activités qui avec le froid se transforment souvent en longues siestes, réfugiés sous la couette. Là, la vie est à peu près comme à la maison. Les quarts aussi ont changé. Hier, tellement fatigués par les préparatifs, nous ne tenions pas au-delà de 2 heures d’affilées. Maintenant, c’est bon pour 3 heures ou plus sans coup de barre.

Au matin, le vent a encore molli et on peut faire un envoi de spi. Il ne tient pas bien vu le faible vent, mais nous gagnons quand même en vitesse et avec le premier ciel bleu depuis le départ, ça fait vraiment croisière de caricature. L’après-midi passe tranquillement. On a rangé une partie des sacs posés à bord au dernier moment.

Nous renonçons finalement au spi qui se dégonfle tout le temps et on opte pour le génois tangonné. Toujours pas très rapide, mais il vaut mieux avancer à 3 nœuds dans le cap qu’à 6 ou 7 nœuds au près. A la tombée de la nuit, nous préférons enlever le tangon pour être plus manœuvrants à l’approche de l’Espagne. La présence de nombreux bateaux de pêcheurs nécessite parfois des changements de cap rapides. A peine le tangon rangé, le vent forci. S’en suivent une série de réductions de voiles qui aboutissent à une grand voile à deux ris et rien d’autre dans la mesure où nous sommes au pur vent arrière. Vers minuit, le vent redevient plus raisonnable, les pêcheurs ne posent pas de problème.

J’en profite pour finir le premier livre de la croisière, « Broadway » de Fabrice Caro, recommandé par mon amie Florence. C’est drôle et sans être de la grande littérature, nous passons un bon moment ensemble.

Lundi 8 mars.

Les lumières de la côte d’Espagne défilent dans la nuit à bâbord, puis le jour se lève doucement. Le ciel est plombé mais un beau lever de soleil avec raies de lumière entre les nuages éclaire notre arrivée. Nous avons battu tous nos records de traversée du golfe de Gascogne, avec un amarrage ce lundi 8 mars à 10h au port de la Corogne. Soit 3 jours moins une heure depuis le port de Vannes.

Pour vous donner une idée, nous avons déjà mis 6 jours pour le traverser dans l’autre sens, une fin août, sans vent. Les traversées du golfe de Gascogne se suivent et ne se ressemblent pas…

Frédéric

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